Note de lecture et extraits : Le Troisième Policier, Flann O'Brien
Note de lecture
Un livre que j'aurais aimé écrire. Si je l'avais lu avant l'écriture de "mon" Roi de Finlande, j'aurais dû préciser qu'il avait été une source d'inspiration. Réflexion : de l'influence possible d'une lecture présente sur une écriture passée. Avec ce livre fabuleusement surréaliste et magnifiquement absurde – et fou – et drôle –, tout est possible. Tout est possible au royaume intemporel de ceux qui savent distinguer les couleurs des vents, philosopher contre la vie ou tomber sous le charme d'une bicyclette.
Extraits
Les couleurs des vents
Il y a quatre vents dominants et huit vents secondaires, chacun avec sa propre couleur. Le vent d'est est d'un pourpre profond, celui du sud argenté et brillant. Le vent du nord est d'un noir agressif et le vent d'ouest couleur d'ambre. Autrefois, les gens avaient le don de percevoir ces couleurs, et certains passaient la journée tranquillement assis sur une colline, à observer la beauté des vents, leur flux, leur reflux, le changement de leurs teintes et la magie des mélanges quand plusieurs bises voisines s'entrelacent comme les rubans d'une noce. C'était une bien meilleure occupation que de lire les journaux. Les vents secondaires ont des couleurs d'une délicatesse indescriptible, un jaune tirant sur le rouge à mi-chemin de l'argent et du pourpre, ou un vert un peu gris avec une égale affinité pour le noir et le brun. Quoi de plus exquis qu'une campagne légèrement balayée par une pluie froide que la brise du sud-ouest rougit !
Qu'avez-vous contre la vie ?
La vie ? répondit-il, je préférerais m'en passer car elle n'est presque d'aucune utilité. On ne peut ni la manger, ni la boire, ni la fumer dans une pipe ; elle n'empêche pas la pluie de tomber et c'est une pauvre roue de secours dans le noir si on la déshabille pour la fourrer au lit avec soi quand on tremble de passion après une nuit de bière brune. C'est une grande erreur et une chose dont il vaut mieux se passer, comme des querelles sur l'oreiller et le lard étranger.
(...)
La vie ? Plus d'un homme a passé cent ans à essayer d'en prendre la mesure et quand il comprend enfin de quoi il s'agit et qu'il a tout ça bien en tête, il n'a plus qu'à se coucher dans son lit pour mourir ! Il meurt comme un chien de berger empoisonné. Il n'y a rien de plus dangereux que la vie, personne ne vous en donne un fifrelin et elle vous tue à la fin de l'histoire. C'est une drôle d'invention, très dangereuse, une chausse-trappe mortelle. La vie ?
La sensualité d'une bicyclette
Elle était là, contre le mur, non pas appuyée paresseusement comme un flâneur, mais dans une pose de mannequin, fièrement campée sur ses pneus avec une impeccable précision, gardant deux minuscules points de contact avec le sol. Sans le vouloir, je me mis à caresser sensuellement la selle. De manière inexplicable elle me rappelait un visage humain, non par une simple ressemblance de forme ou de traits, mais par une association de textures, une incompréhensible familiarité au bout des doigts. Le cuir avait une sombre maturité, une noble dureté et il était sillonné par un réseau de rides en tout point comparable à celui que les tribulations des années avaient sculpté sur mon propre visage. C'était une selle pleine de douceur, mais calme et courageuse, pas aigrie par sa réclusion et ne portant d'autres marques que celles d'une honorable souffrance et d'un honnête devoir. Je sus que j'aimais cette bicyclette plus que je n'en avais jamais aimé aucune autre, peut-être même plus que je n'avais jamais aimé aucun être à deux jambes. J'aimais la modestie de son aisance, sa docilité, la simple dignité de ses manières tranquilles. Sous mon regard amical, elle était à présent comme un volatile apprivoisé qui allait replier les ailes avec soumission et attendre la caresse de la main. La selle semblait une invitation à m'asseoir sur le plus enchanteur des sièges, et le guidon, dont la courbe avait la grâce sauvage des ailes d'un oiseau qui se pose, m'incitait à de libres et joyeux voyages, la lumière la plus légère accompagnant les courses des vents rapides jusqu'à de lointains refuges, la roue avant tournant parfaitement sous mon œil clair et m'emplissant l'oreille d'un doux bruissement, et la forte et belle roue arrière travaillant obscurément à soulever la douce poussière des routes sèches. Combien désirable était sa selle, charmante l'invitation enveloppante des bras de son guidon, efficace et rassurante la pompe chaudement posée contre sa cuisse arrière !
(...)
Mes pieds appuyaient avec extase sur la féminité consentante des pédales.
Comments