Note de lecture et extraits : Poète chilien, Alejandro Zambra
Note de lecture
Un bon roman-chronique de vies, qui se déploie autour de quatre personnages. Vivant, attachant, ironique, mélancolique, d'une acuité toujours intelligente et amusante. Très ancré dans le Chili des années 1990-2000, pays dont la fibre poétique est étonnamment croquée.
Extraits
Les sourires involontaires
Il passe une semaine couché sur un lit superposé à ne lire que des livres intenses et minces qui le fascinent et peut-être aussi le blessent. Et il écrit, bien sûr. Ce sont des journées nuageuses, le vent semble ne jamais vouloir s'arrêter, pourtant la plage est pleine de gens. Vicente écrit sur ça et sur les sourires involontaires, il aimerait écrire un livre entier sur les sourires involontaires, mais il se limite pour l'instant à un poème bref, narratif, sentimental – un être à la ramasse, découragé, déprimé, peut-être au bord du suicide, à un moment donné de la journée sourit, parce que le sourire appartient aux expressions propres à son visage, ou parce qu'il y a eu un temps, qui maintenant semble lointain, où il souriait sans cesse, et alors il ne peut pas, même s'il le désire de tout son cœur, se défaire de son sourire, et le plus probable est que le moment hasardeux du sourire coïncide avec le moment hasardeux où il croise dans la rue quelqu'un qui lui sourit à son tour.
Rêve
[...] au lieu de s'intéresser aux romans récents ou aux classiques qu'il n'a pas lus, il ne fait que feuilleter des livres qu'il a déjà lus et qui l'ont ébloui.
D'eux, c'est à peu près tout ce qu'il a gardé en mémoire, que ces livres lui ont plu, l'ont passionné. C'est peut-être bizarre, mais c'est ce qui lui arrive avec les romans, avec la littérature en général : il se souvient le plus souvent de phrases isolées ou de scènes ponctuelles et surtout d'atmosphères, de sorte que, s'il devait parler de ces livres, ce serait aussi vague, aussi hésitant que s'il racontait un rêve.
Poésie
Il se rappelle l'époque où il pensait qu'avec ses poèmes il pouvait avoir barre sur les autres : être aimé, être accepté, être inclus. Ç'aurait été plus facile d'être un déçu de la poésie, d'oublier la poésie au lieu d'accepter, comme il l'a fait, son propre échec. Il aurait mieux valu rejeter la faute sur la poésie, mais ç'aurait été un mensonge, parce qu'ils sont là, les poèmes que Gonzalo vient de lire, les poèmes qui prouvent que la poésie, oui, sert à quelque chose, que les mots font mal, vibrent, soignent, consolent, répercutent, demeurent.
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