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Photo du rédacteurLe roi de Finlande

Moi, Friedrich Karl, roi de Finlande (épisode 4)

Feuilleton littéraire



Paysage en noir et blanc expressionniste, campagne, rivière et pont de pierres

Les mots mystérieux du chasseur ont agi comme une déflagration. J'ai dû m'écrouler dans le ruisseau car j'ai ressenti peu après un grand froid sur toute la face antérieure de mon corps. Le noir complet est entré dans mes oreilles. Le silence absolu a mangé mes yeux. J'ai eu l'impression de descendre en moi comme on descend dans un puits sans fond. Une descente lente, douce, pas désagréable. Au bout d'un moment, ma trajectoire a commencé à obliquer puis à s'horizontaliser. Je me suis retrouvé dans une sorte de tunnel, apercevant au loin une source lumineuse. J'ai avancé en apesanteur puis en marchant vers cette lumière, avec la sensation à nouveau de mes pieds nus dans l'eau. Je suis sorti du tunnel en poussant une barrière en bois, ne reconnaissant pas le paysage qui se donnait à contempler. La chose étrange, c'est que ce paysage m'est apparu en noir et blanc, comme dans un de ces films de cinématographe que l'on projette dans les fêtes foraines. L'eau pouvait être celle du ruisseau que j'avais quitté, mais je n'en étais pas sûr. Et en me retournant, j'ai vu que "mon" tunnel était en fait un pont de pierres. J'ai grimpé sur l'une des berges du ruisseau, puis rejoint le sommet du pont qui offrait une vue dégagée sur une campagne absolument déserte. Pour découvrir l'autre rive, je me suis engagé sur ce pont et, une fois franchi, ils sont venus à ma rencontre.

Deux petits points au loin, deux petits points mouvants dans le décor. Je me suis arrêté. Les deux petits points ont commencé à grossir et à prendre forme humaine. J'ai d'abord deviné deux hommes. Puis, à quelques dizaines de mètres, j'ai reconnu l'un de ces hommes. Et mon sang s'est figé. Mon père, décédé depuis longtemps, était là, souriant, engagé dans une démarche où j'ai cru lire un désir d'accolade et de félicitations, et semblant m'adresser la parole sans qu'aucun son ne franchisse malheureusement la distance entre lui et moi. À ses côtés, l'autre homme avait les cheveux longs, un peu hirsutes, et le regard tourné vers un bosquet. Antoine de Tounens... Ou, plutôt, la représentation que je m'étais faite de lui étant enfant. Le Français a ralenti sa marche, a fait ralentir celle de mon père et s'est mis à siffler très fort. Est alors sorti du bosquet un renne. Puis un autre. Puis une enfilade de rennes... Un attroupement s'est formé peu à peu, grossissant toujours et remplissant l'espace qui me séparait de mon père et d'Antoine de Tounens. Lorsque j'ai voulu avancer pour rejoindre mes deux "visiteurs", le troupeau était si dense, la masse animale si compacte, que je n'ai pu me frayer un chemin. Pire, j'ai dû reculer. Mon père et Antoine de Tounens également. Mon père, décontenancé. Antoine, observant avec satisfaction les rennes, tel un fier gardien de troupeau. Battant en retraite, je suis même tombé à la renverse, bientôt entouré par une forêt inextricable de pattes de rennes. Levant les yeux au ciel, j'ai juste eu le temps d'apercevoir une aurore boréale, en noir et blanc, et d'embrasser cette aurore, avant que ma conscience ne lâche et ne rejoigne les limbes de l'oubli.


Texte : Frédéric Viaux


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