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Photo du rédacteurLe roi de Finlande

Moi, Friedrich Karl, roi de Finlande (épisode 3)

Feuilleton littéraire



Paysage de forêt noyée dans une brume blanche et phosphorescente, deux oiseaux en plein vol en sens opposé

Je n'avais plus utilisé de bicyclette depuis vingt-cinq ans, au moins. La sensation était formidable. L'énergie, nouvelle. Plus j'avançais, plus j'avais l'impression de m'éloigner de mon monde, de ma vie. Plus je laissais ce feu pédaler avec moi, plus j'abandonnais toute forme de volonté. Ma bicyclette rouge allait où elle voulait. J'ai redécouvert ainsi des sentiers de campagne que j'avais oubliés, un petit étang, quelques fermes. Mais au bout d'un certain temps, je n'ai plus bien su où j'étais. C'était la fin de l'après-midi. Un après-midi de décembre. La nuit a commencé à envelopper le jour. Une brume a nimbé le paysage d'une blancheur légèrement phosphorescente. J'ai vu passer quelques oiseaux de nuit. Mais à aucun moment je n'ai eu la présence d'esprit, ou plutôt le désir, de rebrousser chemin. J'étais bien, je n'avais pas froid.

Arrivé aux abords d'un bois ou d'une forêt – que je n'ai pas reconnu –, j'ai vu une lumière, celle d'une lanterne accrochée à une branche d'arbre. Qui l'avait laissée là ? Il devait y avoir quelqu'un dans les parages. J'ai posé ma bicyclette, exploré un peu les alentours. Personne. J'ai appelé ; ma voix s'est dissoute dans la brume et dans le soir qui semblaient imposer silence. Je ne sais pas ce qui m'a poussé à prendre la lanterne et à emprunter le premier chemin qui s'engouffrait parmi les arbres, mais cela relevait d'une évidence.

J'ai marché, je me suis enfoncé dans l'obscurité, je me suis perdu. Cela dit, peut-on vraiment se perdre quand on ne sait pas où l'on va ? Toujours est-il que je suis arrivé près d'un ruisseau, peu profond, au faible débit. Malgré la saison, malgré le froid que je devinais mais que je ne ressentais pas, j'ai eu envie de tremper mes pieds dans l'eau, d'apaiser ce feu qui semblait brûler dans mes chaussettes... Je me suis donc déchaussé et ai pénétré dans le ruisseau. Positionné au milieu du cours d'eau, le regard vers mes pieds, je me suis absorbé dans la douceur étrange de mes sensations. Quand j'ai relevé les yeux, il y avait un chasseur en face de moi, à quelques mètres, sur la berge. Le visage rond, un peu rougeot. Tenue de velours côtelé, chapeau, fusil en bandoulière. Une lanterne à la main, la même que celle que je portais. Il avait le regard fixé sur moi, ni surpris, ni menaçant. Comme s'il avait fixé un arbre parmi d'autres arbres. Je suis resté silencieux, il est resté silencieux. J'ai perdu la notion du temps et je me suis senti de plus en plus confus mentalement. Je pense avoir bredouillé "Je suis le roi". Puis j'ai vu cet homme, enfin les contours de plus en plus flous et sombres de cet homme, s'approcher de moi. Et j'ai entendu sa voix, caverneuse. Je l'ai entendu me dire : "Le cœur est un chasseur solitaire."


Texte : Frédéric Viaux

Photo : Wix


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